Horizon
Un concours de nouvelles, oui mais « Académique« … alors forcément du potache, du politiquement incorrect ça ne passe pas ! Encore heureux d’ailleurs ! Manquerait plus que ça !
Le sujet : l’horizon…
Alors voilà…
Le grand déplacement.
La nouvelle avait été rendue publique au journal de 20h. Depuis plus d’un mois les réseaux sociaux avaient gazouillé, la rumeur avait couru, s’enflant de jour en jour, agitant les consciences et les foules mais cette fois c’était officiel. Et cela ne pouvait être plus officiel, puisque le président de la République en personne, Francis Luxembourg venait de se fendre d’une déclaration sur TF2 et France 1 avec hymne national, vue du palais de Élysée illuminé, drapeaux tricolore et européen, mes chers compatriotes de France et d’outre-mer et tout le toutim… La décision avait été arrachée de haute lutte à la communauté internationale après une ultime nuit blanche au siège des Nations Unies à New York, au cours de laquelle l’Assemblée Générale avait accouché d’une résolution historique. Les néo cons américains avait eu beau lancer un pitoyable baroud d’honneur, railler la vieille Europe, le flamboyant ministre des Affaires Étrangères Donatien De Bledpeinturay, dans un discours qui allait devenir fameux, avait emporté l’adhésion, séduit les diplomates de la planète, suscité une bande dessinée, un film à succès et fait chavirer le cœur de ma belle-mère. Oui, l’histoire était en marche : en accord avec le concert des nations, la France avait pris la décision inouïe de reculer la ligne d’horizon de deux cents milles nautiques au large de ses côtes océanes. Le projet était colossal, il allait mobilier les énergies de tout un peuple et, tu parles Charles, fournir enfin une issue à la crise. Il apportait de manière éclatante de l’eau au moulin des tenants des solutions keynésiennes et des grands travaux. Ses prédécesseurs avaient eu la Caravelle, le centre Beaubourg, Bison futé, Le tunnel du Mont-Blanc (de funeste mémoire depuis la catastrophe de 1999) le loto et la pyramide du Louvre, dérisoires projets à l’échelle humaine… Mais lui, Francis Luxembourg, lui président, allait offrir à la France un projet digne des grands bâtisseurs de ce monde, il allait lui offrir un horizon dégagé, un horizon reculé de deux cents milles nautiques. Et puis surtout il avait bien couillonné les américains… L’éloignement de l’horizon de ce bord-ci de la mare aux harengs allait produire l’effet opposé sur l’autre rive. Tout ce qui améliorerait les choses du côté de la vieille Europe les dégraderaient sur la rive du Nouveau Monde. Franchement, un coup de bol que le vote décisif aux Nations Unies se soit tenu justement pendant la final du Super Bowl, rendant inattentive et distraite de manière fort opportune l’élite de l’administration états-unienne !!! La logistique était ficelée, tout était combiné. La maîtrise d’ouvrage allait être confiée à la société Tintin Sauvage qui avait redressé avec le succès que l’on connaît le « Costa-Place de Jaudia », lamentable et néanmoins célèbre paquebot de croisière, maladroitement encastré sur le chicot rocheux d’une île italienne par un capitaine distrait et amoureux, souffrant par ailleurs de dérangement gastrique et d’un flux d’entrailles. Un titanesque navire câblier allait être construit et lancé pour la circonstance. L’opération s’annonçait délicate et périlleuse, il s’agissait dans un premier temps d’enrouler avec le plus grand soin la ligne d’horizon sur le gigantesque tambour arrimé sur la plage arrière du bateau. Une fois le bobinage effectué, à toute vapeur, de se déplacer de deux cents milles nautiques en direction du large avant de procéder à l’opération inverse et de dérouler la ligne avec tact, finesse et dextérité à l’emplacement choisi. La manœuvre requerrait habileté et précision. Un horizon redéployé à la hâte pouvait tire-bouchonner et se gondoler ce qui n’eut pas manqué de produire un effet désastreux sur l’esthétique et la morale chrétienne. Mais l’on avait choisi des professionnels de premier ordre, en qui l’on pouvait avoir toute confiance. C’est d’ailleurs la même société qui était pressentie pour le démontage de la ligne bleue des Vosges et sa remise en peinture. Le bleu horizon s’étant passablement délavé avec les outrage du temps (et surtout de ce fichu temps de cochon qui règne dans ce coin ci, humide et propice aux rhumatismes, fluxion de poitrine et autres gerçures aux lèvres). Il convenait donc de le raviver en vue des célébrations du centenaire de la Grande Guerre qui se préparaient mais ceci est une autre histoire… Comme on pouvait le supposer, l’ampleur et la durée des travaux allait interrompre, et pour un temps indéterminé, tout trafic maritime et toute action de pêche sur zone ce qui suscitait un émoi considérable chez les pêcheurs du Guilvinec et au sein du personnel de la conserverie « la Sardine endiablée » de Camaret. Le moment était mal choisi pour cette dernière entreprise qui vivait très mal une concurrence terrible avec l’usine de Ravioli « les Sacoches de Capri » que de cupides investisseurs italiens venaient sournoisement d’implanter en périphérie de Quimper et qui inondait la Bretagne de ses productions gluantes à la sauce tomate. Au-delà des populations hydrauliques et côtières, c’est peu dire que le projet excitait les foules… Les réactions passionnées, enflammées, hystériques, colériques et irrationnelles se multipliaient. Les partis politiques s’étaient emparés de l’affaire. Pour l’extrême droite c’était la porte ouverte à une immigration massive qui menaçait de s’engouffrer par bateaux entiers dans la brèche ainsi crée. L’extrême gauche y voyait une ouverture inconsidérée vers une mondialisation sans limite dont seul le grand capital et la funeste finance internationale allaient en tirer avantage. La communauté scientifique se déchirait et les scénarios catastrophes les plus alarmistes s’échafaudaient, relayés et amplifiés en cela par les chaînes d’information continue qui mobilisaient experts de tous poils, spécialistes en ligne d’horizon, ligne de mire sans compter les pêcheurs à la ligne. L’ensemble des navigateurs, capitaines et loueurs de pédalos de tout tonnage, marins d’eau douce dont on connaît le besoin qu’ils ont de faire des phrases, marins des quatre mers, se réjouissait avec tapage et allégresse. Pour la navigation marchande l’avantage serait indéniable, le passage du rail d’Ouessant se trouverait considérablement fluidifié en permettant un croisement plus aisé des navires en transit. Mais il n’en n’était pas de même pour les couchers de soleil et autres phénomènes astronomiques du même acabit. Par exemple, un épineux problème se poserait la nuit ou immanquablement le nouvel espace ainsi étiré risquait de manquer d’étoile ce qui, avouez le, la fichait mal, tandis que ne l’oublions pas, le phénomène inverse se produirait de l’autre côté de l’océan où le tassement des astres générerait un éclairage préjudiciable aux noctambules qui désormais y verraient comme en plein jour. En outre (et même en juillet) selon les calculs du professeur Hippolyte Calys, le soleil voyant sa course rallongée de deux cents milles nautiques risquait fort de s’user de manière inconsidérée ce qui augurait de conséquences néfastes en particulier pour le réchauffement de la planète, problème pour le coup déjà singulièrement agaçant. Mais c’était là un argument que balayait l’ancien ministre de l’Education Nationale et basketteur Claudius Guilleret pour qui au contraire les bénéfices tirés de l’économie balnéaire de nos côtes allaient s’en trouver décuplés par les conséquences d’un ensoleillement allongé, digne de la côte d’Azur et de Miami Beach. L’activité économique liée au tourisme allait profiter d’un regain d’activité. L’industrie de la carte postale se préparait à tourner à plein régime. Les perspectives étant modifiées il s’agissait de rectifier au plus tôt toutes les vues de couchers de soleil afin d’offrir aux estivants des souvenirs en adéquation parfaite avec l’astre solaire dardant de ses derniers rayons un horizon encore plus lointain (coucher de soleil au large de Plougastel 50c, le lot de cinq 3 €) Le service des phares et balises n’était pas le dernier impacté par le projet. Le recul de l’horizon imposait de rehausser d’urgence l’ensemble des phares d’au moins deux étages afin que ceux-ci puissent être repérés de beaucoup plus loin par les navigateurs. Et que l’on ne m’objecte pas qu’avec les GPS il n’est plus besoin de ces lanternes côtières ! Ça tombe en panne ces machins là et le marin breton est bien content sa palanquée de merlus assurée, de se repérer à la loupiote pour rentrer fissa à bon port où l’attend sa Paimpolaise, ses charentaises et un fricot de mouton mitonnant sur des braises de varech au coin de l’âtre … Certaines communes côtières n’avaient pas attendu la fin des travaux pour élargir leurs plages. Celles-ci se devaient d’offrir un espace adéquat en rapport avec un horizon élargi. Naturellement la demande en sable était grande, les spéculateurs s’en donnaient à cœur joie et l’économie du Sahara bénéficiait d’un regain d’activité aussi salutaire qu’inattendu. Toute une flotte de minéraliers oisifs qui commençait à rouiller à l’ancre au large du port du Pirée faute d’activité économique suffisante, reprenait du service et dans une noria digne du pont aérien de 48 sur Berlin, alimentait en sable chaud les plages fraîches de l’Atlantique. Dans la précipitation et la frénésie, il arrivait qu’un dromadaire distrait se retrouve fortuitement embarqué et c’est ainsi que l’on retrouvait ces lamentables bêtes, errant sur les plages du septentrion, blatérant d’indignation, dardant de leur regard bovin cet horizon maudit, source de leur exil et de leur malheur… Des aigrefins n’allaient pas tarder à les capturer pour proposer des promenades sur le dos de ces fiers vaisseaux du désert aux vacanciers en goguette et autres salopards en casquette qui traînaient leurs basques sur les lieux au moment des congés payés. Ceci étant, attraction quand même autrement plus intéressante que les balades sur de tristes bourricots faméliques, irrémédiablement condamnés à finir leur carrières d’intermittents du tourisme balnéaire en lasagnes de second choix (les lasagnes au cheval étant quoique l’on veuille bien en dire, bien supérieures sur le plan gustatif aux lasagnes d’âne). Enfin cerise sur le gâteau, le ministère de l’Education Nationale était lui aussi mobilisé afin d’assurer un retentissement universitaire et scolaire à l’entreprise. Le ministre, Victor Raquon, avait réuni l’ensemble des recteurs rue de Grenelle, leur enjoignant d’imaginer au plus vite toutes sortes de projets pédagogiques pour mettre en valeur le grand dessein national et lui donner l’ampleur qu’il méritait auprès de nos chères têtes blondes. Et c’est ainsi qu’un illustre recteur d’une académie du centre de la France, dans l’autorail cahotant qui la ramenait au bercail songeait… … Bon pour les élèves je vais refiler ça aux DASEN, ils vont bien me pondre un projet fédérateur mais pour les profs … Tiens donc … Oui, pourquoi pas ? … Un concours d’écriture de nouvelles sur le thème de l’horizon ???