Ma petite banane de Proust…
Narguant le réchauffement planétaire, le froid s’est abattu sur nos villes et nos campagnes. Le paysage se fige, les rivières sont prises par les glaces, le gasoil s’épaissit dans les réservoirs des véhicules… les déplacements se font plus difficiles, la gelure peu à peu nous engourdit.
Billevesées quand on songe au grand « hyver » de 1709 ! Moins 30° à Paris, la Seine totalement gelée ne permet aucune navigation, les vivres ne parviennent plus à la capitale. Au château de Versailles, Louis XIV lui même se voit contraint d’attendre que son vin daigne bien dégeler près du feu, ce dernier se figeant rien qu’en traversant une antichambre…
Calfeutré dans mon nid d’aigle de l’avenue Foch que je peine à réchauffer, je songe en terminant mon repas du soir… Mais d’où vient cette banane qui me tient lieu de dessert ?
Fruit du soleil et des tropiques échoué dans cette contrée gelée… pourquoi cette banane ravive d’un coup tant de souvenirs ?
Il me revient en mémoire notre jardin de Dar Es Salaam et ses petites bananes que nous ne mangions jamais, boulottées qu’elles étaient à peine mures par le jardinier. Nous ne faisions pas d’histoire, Marie rapportait du marché des paniers entiers de légumes et de fruits tous plus beaux les uns que les autres … et puis on racontait tant d’histoires sur ces petits serpents noirs cachés au coeur des régimes et qui, s’ils vous mordaient, vous faisait passer de vie à trépas en quelques minutes.
Dans le jardin une demoiselle nommée Charlotte se balançait sur une balançoire de bois , Timy à quatre pattes grattait la terre d’Afrique et Jean-Marie mal éveillé de sa sieste couinait au seuil de la maison son biberon d’eau à la main.
Il faisait chaud dans la touffeur tropicale de ce jardin où il y avait peu d’ombre.
Mais pourquoi fichtre donc la banane s’associe t-elle dans mon esprit à un une image de glace et de froidure ???
J’y suis ! L’image subliminale qui se forme c’est celle du bananier, du Chiquita Banana, que nous apercevions chaque jour en franchissant le grand pont au dessus du port de Göteborg pour rejoindre le centre ville. Chaque matin un nouveau navire déchargeait ses containers de bananes. En hiver la rivière Gotha où s’amarraient les bateaux charriait des glaces dans le petit jour blafard de ces contrées boréales…
Et puis plus vieux encore voici que remonte une savoureuse histoire de bananes … Imaginez vous pourquoi pendant 24h Sofia devenait une ville dangereuse aux trottoirs glissants ?
Glace ? Gel, verglas ?
Pas du tout : la banane encore !
Dans les glorieuses années du socialisme triomphant la pénurie régnait sur les étals des marchés de l’est et les fruits exotiques n’étaient que du domaine du rêve pour le bon peuple.
Fort heureusement le papa de Pépito, un de nos plus brillants élèves de l’Ecole Française, ci devant ambassadeur d’Equateur, avait une mission capitale chaque année : organiser l’arrivée et le déchargement d’un bananier en provenance d’Equateur au port de Varna.
Le vulgum pecus, qui ne bénéficiait pas des magasins spéciaux de l’aristocratie rouge régnante ne pouvait que rêver de ce fruit mythique. Alors quand une fois par an une distribution miraculeuse s’annonçait, c’était la ruée dans les épiceries !
Mais conséquence de l’impatience, de la gloutonnerie, de la gourmandise tous s’empressaient d’avaler béatement, les yeux mi clos, une deux, voir trois bananes en sortant de la boutique et comme c’était l’usage, de balancer illico les peaux sur le trottoir…
Et voilà pourquoi il fallait veiller où l’on mettait les pieds sur les trottoirs de Sofia quand arrivait le bananier tant attendu du papa de Pépito pour ne pas risquer de se rompre le col en glissant sur une peau du beau fruit jaune…
Enfin dernier souvenir, il me revient au palais le goût parfumé de ces toutes petites bananes de la côte égéenne de la Turquie bien plus savoureuses que ces grosses fades bananes de nos supermarchés …
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épilogue : un caisse de bananes à celui ou celle qui postera le commentaire attendu concernant la banane… même si on se doute que c’est encore l’estonien qui raflera la mise !