Les voyages c’est comme la colique…
– Quoi ma chère Edwige vous voyagez ?
– Formidable !
– Quoi ? En TGV ?
– Merveilleux !
– Moi ?
– Non, moi je pète…
Ah oui, que voulez-vous, le choux et la saucisse d’hier soir…
Je pète devant ma page blanche, enfin devant l’écran noir de ma tablette…
Tablette ?
Oui vous savez bien chère Edwige, comme votre table de cuisson en céramique sur laquelle nous avons fait rissoler les saucisses et cuire le choux hier soir … Tablette, nouveau lutrin de ce siècle numérique.
Lutrin, comme vous y aller mon ami…
Mais si, chère Edwige, une tablette c’est tout l’un ou tout l’autre, ou bien vous activez le cliquetis du clavier et votre tablette se transforme en Remington des trente glorieuses ou bien vous laissez allez vos doigts dans le silence d’un plaque d’évier froide et redoutable.
Froide et redoutable mais vous déraisonnez mon cher ami…
Ah Edwige mais c’est vous qui déconnez… enfin quoi … Voyager, non mais c’est d’un kitch, en TGV en plus, pourquoi pas en avion pendant que vous y êtes ???
Mais enfin je vous l’ai déjà dit… Voyager c’est cuit… Fini, terminé, définitivement embourbé dans la fange du tourisme de masse aseptisé, assuré et chronométré.
…. ?
Mais enfin, ma chère Edwige à quoi rime vos soi-disant voyages qui ont réduit notre pauvre planète à un triste morlingue de poche ? Quand un Paris Bangkok coûte moins cher qu’un Paris Meug sur Loire…
A certes, vous pouvez encore vous faire bouffer par les moustiques, mordre le cul par des tapirs dégénérés, couper des lianes dans la forêt amazonienne mais c’est au final pour déboucher dans une clairière peuplée d’autochtones culs nuls, vêtus d’un simple pagne rouge, vociférant et hurlant autour d’une télé qui diffuse le championnat d’Angleterre de football … Inutile de sortir de votre poche la verroterie dont vous vous étiez munis, non il vous sauterons juste dessus pour savoir si c’est bien vrai que David Beckam est sur le point de signer à l’Olympique de Marseille et que Victoria va figurer dans un épisode de Plus Belle la Vie.
Il faut vous faire une raison l’Homme à l’oreille cassée est à ranger avec les incunables de la bibliothèque diocésaine de Nancy…
Enfin quoi chère Edwige, quelle poésie dans les voyages désormais, quel ivresse de l’inconnu, quel danger… Tenez prenez les naufrages par exemple… Quelle déchéance…
Allons, quand le Titanic sombrait dans la nuit calme et glacée après avoir suavement déboutonné sa coque d’acier, faisant sauter tous ses rivets bon marché en se frottant à un iceberg fourbe et facétieux, avouez que cela avait de la tenue et du panache…de la gueule quoi !
Le SOS sans écho lancé dans la nuit polaire, les chaloupes en nombre insuffisant et insuffisamment remplies, le capitaine Smith héroïque jusqu’au bout sur la passerelle … Plus près de toi mon Dieu, plus près de toi mon Dieu, plus près de t… blurp bloup bloup bloup…
Non mais comment comparer cette tragique épopée avec le ridicule naufrage de ce pathétique Costa Concordia, échoué, même pas coulé sur un rocher à fleur d’eau, à deux pas avec des bottes de la trattoria du coin, sous les caméras du monde entier… Et ce capitaine qu’il avait fallu rattraper par la culotte pour le refaire monter à bord illico presto à coup de pompe dans le cul… non mais quelle honte…
Oui, oui, je vous entends, chère Edwige, je l’admets, fort heureusement il reste la colique, la tourista, la chiasse du voyageur…
Mais voyez-vous chère Edwige, au final, les voyages c’est comme la colique, c’est bon quand ça s’arrête.
Et moi que voulez-vous, je pète devant l’écran noir de mes rêves en songeant à tous ces trains que je ne prendrai plus…
Superbe plaidoyer, encore plus prégnant lorsqu’on voit la pluie battre les fenêtres. Version actuelle de plus me plaît mon petit lyree que le mont Palatin. Adieu donc l’enchantement de la découverte. Tout se vit dans la tête plutôt que par les sens. Nostalgie d’être allé à plutôt que d’avoir été …